La modification comportementale

Clio Marshall

La modification comportementale, c’est ce que font tous les cavaliers en permanence avec leurs chevaux, sans trop le savoir : c’est ce qu’on fait lorsqu’on essaye de faire passer un comportement indésirable à son cheval ; c’est ce qu’on fait lorsqu’on apprend quelque chose de nouveau à son cheval.

Plusieurs étapes composent la modification comportementale. Pour la même raison qu’on vous a fait passer le code avant de commencer les leçons de conduite, avec les chevaux (et les animaux en général), on essaye aussi de faire les choses dans l’ordre.

1️⃣ Vérifier que son cheval soit en bonne santé
Douleurs, inconfort, gêne physique sont la cause d’une immense majorité des comportements indésirables. On ne réglera par exemple pas le problème d’un cheval qui mord au sanglage tant que sa selle lui fait mal. De la même façon, avant d’apprendre les changements de pied au galop à son cheval, il va falloir s’assurer qu’il est physiquement capable de les réaliser.

2️⃣ Assurer la satisfaction des besoins de son cheval
Un cheval mange des fibres 16h par jour, il est fait pour vivre en troupeau et se déplacer. On ne réglera pas les problèmes d’un cheval agressif au moment des repas en continuant à lui restreindre un accès continu au foin, de même qu’on ne pourra apprendre à marcher calmement en main en extérieur à un cheval frustré.

3️⃣ Gérer l’environnement
Ça, c’est plutôt l’idée d’anticiper les situations et de les préparer au mieux pour faire disparaître bon nombre de comportements indésirables ou simplifier la vie de tout le monde lors d’un nouvel apprentissage. Par exemple, parer un cheval à côté de son pré s’il souffre d’anxiété de séparation permet d’éviter le stress de l’isolement qui rendra le travail impossible pour le maréchal. De la même façon, on choisira un chemin connu et sans moissonneuse batteuse pour la première sortie en extérieur de notre poulain.

4️⃣ L’enrichissement
Cette étape n’est pas toujours précisée mais j’avais envie de la mettre, parce qu’on prend souvent l’enrichissement pour un bonus. C’est dommage. L’enrichissement permet de préparer le cheval à des tonnes de situations qu’il sera amené à croiser un jour. Enrichir le quotidien de son cheval, c’est lui offrir des opportunités de découvrir de nouveaux stimuli, d’apprendre à mieux gérer ses émotions, de généraliser certains apprentissages.

5️⃣ Et enfin, l’entraînement
L’entraînement c’est cette chose un peu tabou dont personne ne veut vraiment parler. C’est dommage, parce que bien que ce soit la dernière étape, c’est une étape à part entière. C’est d’ailleurs celle qui va vous permettre d’apporter de la précision en discriminant les comportements voulus, en les associant à un code ou un signal pour pouvoir les obtenir à la demande, en enseignant à votre cheval des chaînes de comportements qui vous amèneront en rando ou sur un carré de dressage, bref, c’est pas rien.

Lorsque je parle « apprentissages associatifs » et « renforcement », on vient souvent me dire « oui mais moi je gère l’environnement ». J’avoue que moi tout ce que j’entends alors, c’est « j’ai rien compris ». Parce que la gestion de l’environnement ne peut pas s’opposer à l’entraînement, c’est une étape préliminaire dont on ne devrait jamais se passer. Me dire ça, c’est comme me répondre « je mets mon clignotant » lorsque je vous demande si vous tournez à gauche ou à droite. Heureusement, que vous mettez votre clignotant, parce que vous n’êtes pas bête et que vous respectez le code de la route. Mais ça ne répond pas à ma question.

P.S. : En fait je vous dit qu’on ne peut pas sauter ces étapes, mais si, on peut. On peut en utilisant la force, en contraignant son cheval, et bien souvent en l’amenant à un stade de résignation acquise. Comme pour tout, finalement, c’est simplement un choix.

La technique compte

Clio Marshall

Pour faire suite à un précédent article, qui soulignait les lacunes dans la connaissance des principes d’apprentissage de la part des cavaliers, un petit mot sur la maîtrise de la technique dans le travail du cheval. On entend aujourd’hui beaucoup de blabla sur l’empathie, la connexion à soi et l’importance de la relation dans l’équitation. Une part de ce blabla est importante. La relation compte. Une autre part me semble trompeuse. Parce que la relation ne fait pas tout, et que les méthodes de travail, que l’on passe sous silence, impactent directement cette relation.

Suivez-moi deux minutes, je vais tenter de faire le tour de ce cercle vicieux.

Lorsque nous, professionnelles, allons en séance, on obtient souvent du cheval ce qu’on lui demande. Et pourtant, on connaît ce cheval depuis deux minutes. (Ah, et pour ma part, je suis une des personnes les moins centrées que je connaisse. Soporifique oui (wink Tasmin), centrée, vraiment pas.) Mais on connaît notre travail. Notre technique. Et ça fonctionne. La relation ne fait pas tout.

Maintenant quand je travaille avec mes propres chevaux, je cherche à construire cette relation, et je la veux bonne, cette relation, parce que je veux que mes chevaux prennent plaisir à faire des choses avec moi. La relation importe, loin de moi l’idée d’affirmer le contraire.

Enfin, on sait qu’un travail brouillon, trop long, des demandes contradictoires, le passage par la punition pour modifier un comportement sont autant d’éléments qui mettent le cheval dans l’inconfort, et facilitent donc la multiplication d’associations négatives ou l’apparition de conflits de motivation. Une séance courte, efficace et cohérente, un cheval placé en situation de réussite qui a appris quelque chose, sont autant de facteurs qui favorisent les associations positives. Par ces associations, la maîtrise des technique de travail du cheval par le cavalier impacte directement la relation.

Et la boucle est bouclée. On peut travailler sur la relation à l’infini, si à un moment, on ne se penche pas sur la technique, on va finir par tourner en rond. Et je dis ça, avec toute la bienveillance dont je suis capable, pour les personnes qui montent leur cheval cinq fois par semaine sans comprendre ce qu’elles lui demandent comme pour celles qui n’osent plus toucher leur cheval de peur de lui imposer un exercice contraignant.

L’équitation est un sport complet et complexe. Une bonne pratique de cette discipline implique un travail sur soi et un travail purement technique de gestuelle, de timing, de compréhension des principes théoriques et d’entraînement. Les deux aspects comptent, d’autant plus que le deuxième impacte directement le premier.

En photo, Echo sublimé par la talentueuse Amandine Souvré – www.myrrhe.fr

L’embarquement, et si c’était aussi une histoire de postérieurs ?

Clio Marshall

Lorsqu’on embarque un cheval dans un van ou un camion, on a bien souvent tendance à se focaliser sur les antérieurs. On veut que les antérieurs montent sur le pont, puis on veut que les antérieurs montent dans le van, on veut enfin que les antérieurs avancent jusqu’à la barre de poitrail.

On oublie que l’embarquement met en jeu l’équilibre du cheval. Pour pouvoir passer d’une surface à l’autre, d’un angle à l’autre ou d’une hauteur à l’autre, le cheval joue de sa proprioception et de sa capacité à gérer son poids et son équilibre. Pour lever un antérieur, il doit être capable de soulager ses épaules en reportant du poids sur l’arrière-main. Pour prendre appui sur un antérieur posé sur un niveau différent des autres membres, il doit être confiant dans sa capacité à s’équilibrer. L’embarquement nécessite une connaissance de son corps, une maîtrise de ses quatre pieds, une capacité à appréhender un terrain irrégulier.

Bien souvent, on va laisser le cheval étendre ses antérieurs sur le pont, sans prendre en compte le fait que les postérieurs soient restés bien loin, au sol. Il n’est pas rare qu’alors, le cheval pose un pied à l’intérieur puis recule.

Lorsque les deux antérieurs sont sur le pont, il devient intéressant de renforcer, non pas le mouvement de ces antérieurs, mais le mouvement des postérieurs (que l’on utilise du renforcement positif ou du renforcement négatif). Les chevaux sont très souvent moins à l’aise avec ces derniers (pour des raisons que l’on développera dans un autre article). Inciter le cheval à rapprocher ses postérieurs, à les mobiliser, à faire de plus petits pas, va l’aider à mieux gérer son équilibre, et donc nous éviter ce passage un peu difficile où il se « jette dedans » puis recule pour se remettre en sécurité : au plat.

Un cheval qui ne monte pas dans un van a toujours une bonne raison de le faire. Et parfois, c’est une simple question d’équilibre !

La belle Isis, qui garde son équilibre dans du dénivelé.

Achille, Pepper ou la conscience triangulaire

Clio Marshall

Juin 2017
Echo, notre jeune entier de quatorze mois, se fait attaquer violemment par Eole, notre entier de neuf ans. Coincé entre un bâtiment et la clôture, il saute les fils et se réfugie dans la forêt, quelques centaines de mètres plus bas, où je le retrouverai quelques heures plus tard, terrorisé, blessé. En plus de quelques petites égratignures aux endroits habituels (flancs, grasset, jugulaire), il souffre surtout d’un hématome sur le ventre de la taille d’un petit melon. Ce jour-là, on a pris la décision d’éloigner Eole du troupeau pour un temps. Echo a rejoint Achille, un hongre de six ans.

Octobre 2018
Iota, petit entier tout juste sevré, vient rejoindre Echo et Achille au Serre-Izard. L’intégration est plutôt calme, quelques galopades mais rien d’inquiétant. Achille s’en fiche un peu, Echo en profite pour nous montrer le bel ado qu’il est devenu, Iota, infatigable, les cherche à tour de rôle. Depuis deux mois, j’assiste à l’expression de nombreux comportements que je n’avais jamais eu l’occasion d’observer avant. Peut-être parce que ce sont deux entiers et un hongre. Peut-être parce que je prends enfin le temps de les observer correctement. Le fait est qu’une drôle de dynamique s’installe progressivement.

Bon mais pourquoi avoir commencé ce récit par cet épisode dramatique entre Echo et Eole, me direz-vous ? Et bien parce que ce que je n’avais pas prévu, c’est qu’Echo garde des séquelles si importantes de son altercation avec Eole. En plus d‘une extrême sensibilité au niveau des flancs et d’une tendance à mordre, j’ai pu l’observer reproduire exactement le même comportement sur Iota. La même chasse, les oreilles plaquées dans la crinière, les mêmes attaques, la même colère. Deux différences notables toutefois :

  • Echo n’attaque Iota que lorsque ce dernier dépasse les bornes (le gonfle quoi, parce que vraiment, ce poulain n’arrête jamais)
  • les interventions d’Achille.

J’ai été extrêmement surprise lorsque, la première fois qu’Echo a commencé à chasser Iota avec agressivité, Achille s’est interposé en venant interrompre la course. Echo a pilé net, et il est reparti brouter tranquillement. Iota a soufflé un coup, arraché une touffe d’herbe, et… il est reparti chercher Echo. Avant qu’il n’arrive à sa hauteur, à nouveau, Achille s’est placé entre eux deux, forçant Iota à faire demi-tour.

Frans de Waal, primatologue, éthologue, auteur de nombreux livres que je ne peux que vous recommander, soulève dans l’un d’eux l’hypothèse selon laquelle certains individus ne sont pas seulement conscients de leur relation à autrui, mais aussi de la relation que peuvent entretenir deux autres individus ensemble. C’est ce qu’il appelle la conscience triangulaire, qu’il a pu prouver chez les grands singes et d’autre espèces comme les corbeaux. C’est cette conscience triangulaire qui explique le rôle de médiateur que peuvent jouer certains individus dans un groupe en intervenant lors de conflits, ou en influençant certaines décisions dans les rapports hiérarchiques. Et je ne peux m’empêcher de penser que c’est ce rôle qu’Achille a joué dans la construction du troupeau.

Au quotidien, Achille, Echo et Iota vivent très tranquillement. Ils partagent régulièrement le même tas de foin, ils peuvent manger dans un même seau. Ils ont trouvé leur équilibre, à trois mais aussi par paires. Echo ne chasse plus Iota avec agressivité. Il l’a fait quelques fois les premiers jours, toujours interrompu par Achille, parfois même remis à sa place par un coup de dent. Il ne le fait plus. La chasse est maintenant mutuelle et elle se fait dans le calme. Ce que je trouve le plus touchant, c’est qu’Achille les surveille toujours de loin, comme un parent garderait un œil sur ses deux enfants chamailleurs. Ce qui me laisse croire qu’Eole arrivera un jour à vaincre ses vieux démons, c’est qu’Achille a réussi, en quelques semaines seulement, à corriger le comportement d’Echo. Sans preuve de force.

Juin 2023
Echo a maintenant 7 ans, il vit avec des juments depuis deux ans, et avec Pepper, une poulinière de 13 ans, depuis plus d’un an. Il n’a toujours pas sailli. Echo a beaucoup de difficulté à gérer ses émotions, et en particulier la frustration. Il ne prend pas le temps de reproduire la séquence comportementale de la parade, et il fait peur aux juments. Pepper l’a mis au pas, rodée comme elle est, et ils s’entendent très bien. Ils ont trouvé leur équilibre dans cette relation platonique.

À l’arrivée de Kosmo, une jeune jument de trois ans qui n’a connu que son groupe familial, Echo retombe dans ses vieilles habitudes : il ne prend pas le temps des présentations, il arrive fort, par derrière, Kosmo se met au trot, Echo se met en chasse. Puis Pepper intervient. Elle s’interpose, arrête la poursuite, chasse Echo d’un coup de dent.

Pendant plusieurs jours, elle va tenir Kosmo à l’écart de leur groupe en lui adressant une oreille plaquée à la moindre tentative de rapprochement. J’ai cru au départ qu’on avait affaire là à de la protection de ressource envers Echo, mais je me suis trompée. En les observant mieux, je me suis rendue compte qu’elle protégeait Kosmo.

Au bout de quelques jours, la dynamique du troupeau a complètement changé. Pepper a réduit la distance imposée entre Kosmo et Echo, et elle a lâché Echo pour faire paire avec Kosmo. Au moindre signe d’excitation d’Echo, Pepper chasse Kosmo un peu plus loin puis va rejoindre Echo. Elle reste avec lui quelques minutes, puis retourne brouter avec Kosmo. Petit à petit, Echo arrive à s’approcher des deux juments dans le calme. Dans ce cas, Pepper le laisse brouter avec elles. Parfois, Kosmo montre de l’intérêt pour Echo, elle s’approche doucement, tente un contact naso-nasal. Pepper continue à brouter tout en les surveillant d’un œil. Si Echo s’emballe, alors elle intervient, elle n’a maintenant plus qu’à s’interrompre et tourner les flancs pour qu’Echo se remette à brouter un peu plus loin.

Rachaël Draaisma décrit la position de séparation comme un signal d’apaisement utilisé pour “prévenir un éventuel conflit entre deux parties”. Elle confirme là l’hypothèse que la conscience triangulaire décrite par Franz de Waal pourrait être applicable aux chevaux. C’est ce qu’utilise Pepper pour pacifier les rapports au sein de son troupeau.

Une chose toutefois a attiré mon attention. Pourquoi, les premiers jours, chasser Kosmo plutôt qu’Echo ? Mon hypothèse, si vous me permettez de l’avancer, est la suivante : Kosmo est extrêmement bien codée. Là où il faut hurler pour se faire entendre par un Echo complètement dépassé par ses émotions, une oreille suffit à détourner Kosmo de sa trajectoire. Éloigner Kosmo nécessite donc beaucoup moins d’efforts, et beaucoup moins de comportements de mise à distance que d’éloigner Echo. De plus, la présence de Pepper auprès d’Echo permet de l’apaiser. Il redescend en pression plus rapidement, retourne à ses activités. Rester avec Kosmo et chasser Echo n’aurait fait qu’augmenter sa frustration, et probablement augmenter la fréquence et l’intensité des comportements agonistiques d’Echo.

N’oubliez pas que les chevaux sont des animaux économes de leur énergie. Leur communication première est pacifique et subtile, et leur stratégie sociale visera toujours l’apaisement du troupeau. Les comportements agressifs et violents observés dans les troupeaux aujourd’hui découlent des conditions de vies souvent mal adaptées que nous leur proposons, ou d’une mauvaise sociabilisation précoce. Cette violence ne doit pas devenir la norme, et ne doit surtout pas justifier nos pratiques.