En tant que comportementaliste, je pense que nous devons être capable de répondre à ces deux questions : qu’est-ce que je fais, et pourquoi est-ce que je choisis de le faire comme ça ?
Je sais que la définition de notre métier n’est pas toujours claire, que tout le monde ne s’accorde pas sur les limites de nos compétences mais il me semble qu’on ne coupe pas à ça : pour pratiquer notre métier correctement, nous devons faire des choix, et j’en vois deux principaux.
D’abord, nous devons tracer notre ligne d’éthique. C’est en discutant avec des consœurs que j’ai posé les mots sur cette problématique, autour de laquelle je tourne depuis quelques années déjà : il n’y a pas une éthique mais des positionnements sur un axe allant de la perfection morale à la violence gratuite.
Tout le monde ne pense pas comme moi. J’aimerais parfois, même si je pense que le monde serait plus triste ainsi, mais non, tout le monde ne pense pas comme moi. Et si certaines choses me semblent justes, elles paraîtront peut-être injustes à d’autres. Si rien n’est tout noir ou tout blanc, alors il y a une infinité de nuances de gris parmi lesquelles nous devons nous frayer un chemin et surtout nous positionner.
Bien que l’on puisse évoluer sur cette ligne, déplacer notre curseur d’un côté ou de l’autre à notre guise, au gré de nos apprentissages et de nos expériences, il me semble quand même important de noter qu’il y a une limite basse, un plancher de verre, si l’on peut dire, qui n’a rien à voir avec nos opinions et nos croyances mais avec la loi. La maltraitance et la négligence animale sont des délits, et ne laissez jamais personne vous convaincre du contraire. Rien, ni l’aspect “passager”, ni le “mal nécessaire”, ne peut justifier l’usage d’une certaine forme de violence.
Une fois qu’on a posé ça, il y a mille façon de travailler un cheval, mille techniques qui se différencient les unes des autres selon plusieurs critères : la rapidité d’exécution, la solidité de l’apprentissage, le niveau de contrainte imposé, le niveau de choix offert, l’efficacité ou encore le niveau d’effort demandé. Et ces critères, ce sont ceux sur lesquels nous devons nous positionner en tant que professionnelles.
Pourquoi est-ce que c’est important me demanderez-vous ? Parce qu’il va nous falloir faire des compromis, voire des sacrifices. Tous ces critères ne sont pas compatibles, nous devons en prioriser certains. Nos techniques de travail dépendent de ces choix, et nos clientes sont en droit de savoir ce qui nous motive à travailler d’une certaine façon plutôt que d’une autre avant de nous suivre.
Oui parce que le positionnement en terme d’éthique implique ensuite le choix de la ou des méthodes. Celui-ci, tout le monde le fait mais j’ai l’impression que peu le conscientisent, cachés derrière l’argument que cette méthode est la bonne parce que c’est la seule qui fonctionne. Mais on sait que c’est faux. Il existe plein de techniques différentes qui fonctionnent pour un même exercice ou une même problématique, seulement elles impliquent de faire jouer le curseur sur d’autres critères qui ne nous plaisent peut-être pas. Choisir une méthode plutôt qu’une autre, c’est favoriser tel ou tel aspect de l’apprentissage. Ce n’est pas neutre, ça dit quelque chose de nous. Si quelqu’un choisit de pratiquer le Join Up, c’est parce que cette technique est celle qui répond à ses objectifs, selon ses connaissances et ses capacités, parfois aussi ses croyances. Être conscient de ça, c’est être en mesure d’en apprécier les avantages mais aussi les limites. Et l’expliquer à son client, c’est lui donner les clés pour choisir ce qu’il veut pour son cheval.
D’où besoin de comprendre ce que l’on fait. Pour pouvoir se positionner, il faut comprendre les mécanismes impliqués dans telle ou telle méthode. Et comprendre les théories de l’apprentissages, ça peut sembler facile mais ça ne l’est pas. Plus on creuse, plus on creuse, et ça devient profond, et sombre, et la terre commence à nous tomber dessus, et parfois on se demande bien ce qu’on fait là. Mais plus on creuse, plus on comprend le nombre vertigineux de données à prendre en compte pour travailler un cheval, plus on mesure l’importance d’élargir la focale pour faire de la place aux nuances de chaque couple, parce qu’on ne travaille pas seulement avec un cheval, un être vivant doué d’émotions, mais aussi avec une cavalière qui a des rêves, des objectifs et des contraintes.
Comprendre ce que l’on fait, c’est aussi pouvoir garder le dos droit lorsqu’on est remis en question (ce qui ne doit pas empêcher l’auto-évaluation, la réflexion et, dans certains cas, l’évolution). Mais si je sais ce que je fais, et que je sais pourquoi je choisis de le faire de cette façon, ce que je sacrifie, à quelle échelle, ce que je favorise et dans quel but, alors ma pratique sera bien plus alignée.